Faustine Ferhmin – Pachacuti

2 novembre 2010


Dès que nous l’avons vu, nous avons aimé le travail de Faustine Ferhmin, une photographe parisienne liée à l’Amérique du Sud. Nous avons eu la chance de participer à une exposition avec elle, lors du festival Emergent de Lleida, et de parler de son travail. Ce post a pour sujet son très intéressant travail «Pachacuti», et pour en parler, nous avont pensé qu’il serait mieux que ce soit elle-même qui nous raconte son univers photographique, à travers cette interview que nous partageons avec vous.

More Than Blog: Ton travail, Faustine, se situe en Amérique du Sud. Pourquoi le Pérou ?

Faustine-Ferhmin: Avant de voyager au Pérou, j’avais déjà des liens avec l’Amérique du Sud : mon père est à moitié Argentin, et toute la famille de son côté est Argentine. J’avais déjà voyagé en Argentine, et j’avais même fait mon travail de fin d’études sur la Patagonie. En 2008, j’étais en train de terminer mon école de photographie à Arles (l’ENSP). Plusieurs résidences post-diplômes étaient proposées, parmi lesquelles le Pérou. J’avais été tellement impressionnée par ce continent, que j’avais envie de continuer à le découvrir. J’ai obtenu cette bourse, et j’ai pu voyager trois mois au Pérou.

More Than Blog: Le projet est-il le fruit du hasard, ou a-t-il été prémédité ? Comment s’est déroulé le processus ?

Faustine-Ferhmin:Quand je suis arrivée à Lima, je ne savais pas exactement ce que j’allais photographier - mais j’avais déjà quelques idées. En Patagonie, j’avais commencé à photographier des pierres - des pierres aux formes sculpturales, qui semblaient parfois imiter des ruines (même si ce n’en était pas). Ainsi, au Pérou, j’ai décidé de suivre ce chemin «minéral», en partant en quête de pierres. Mais par rapport à l’Argentine, il y avait dans les pierres du Pérou une dimension de plus : l’histoire humaine. Certaines des pierres que l’on voit sur les photos sont des ruines - des ruines de civilisations pré-hispaniques, dont la plupart sont bien antérieures aux temps des Incas. Mais tandis que la plupart des voyageurs allaient au Sud du pays, pour visiter le très célèbre Machu Picchu, j’ai décidé de voyager à contre-courrant, vers le Nord, à la recherche d’autres sites, moins connus, plus «sauvages». Je recherchais une certaine solitude - qui était impossible dans les sites trop touristiques. J’avais envie de me confronter seule, et le plus directement possible, à ces espaces qui conservaient la trace de passés très lointains (passés humains - et géologiques).

More Than Blog: Nous percevons beaucoup de subtilité et de tendresse dans ton travail, la netteté de la lumière et de la prise de vue nous capte dans l’image. La vision de la ruine a été abondamment traitée dans l’histoire de la photographie. Est-ce que la ruine constitue une quête continue, dans ton travail ? Comment définis-tu ta vision de la ruine, dans ta série ?

Faustine-Ferhmin: Je dois dire que le thème de la ruine, en lui-même, n’est pas ce qui m’importe le plus. Ce n’est pas avec un oeil d’historienne que je me suis approchée de ces sites - je ne voulais pas non plus donner une interprétation sentimentale ou trop mélancolique du paysage. Dans mes photos, on peut dire que la ruine n’est qu’une des déclinaisons possibles de l’élément minéral - et c’est justement cette dimension élémentaire, c’est-à-dire quelque chose de plus fondamental que l’histoire humaine, qui m’intéresse. Ainsi, ce n’est pas au sens strict des ruines que j’ai voulu photographier - c’est plutôt l’espace, cette immensité âpre que l’on trouve surtout dans les Andes. C’est pour cela que j’ai décidé de photographier des ruines, mais aussi des formations géologiques : des pierres travaillées par l’homme, et d’autres travaillées par la nature. Il ne s’agissait pas d’opposer ces deux modalités du minéral, naturel et artificiel, mais plutôt de les confondre - de me confronter avec la dimension tellurique du paysage pour qu’apparaisse un temps plus fondamental, plus vaste que celui de l’histoire humaine. C’est pour cela que j’ai nommé la série «Pachacuti». Pachacuti est un terme quechua qui veut dire «révolution, bouleversement» (cuti) de «l’espace-temps» (pacha). Cette notion centrale dans la pensée cosmogonique inca désignait les cycles réguliers de destruction et de recréation du monde.
Pour dire tout cela un peu mieux, j’aimerais citer un passage du texte que Jean-Christophe Bailly a écrit sur ma série : «Il n’y a plus de catégories séparées, mais un unique déploiement, ou ploiement, celui des formes dans le temps, quelle que soit leur origine et leur destination : c’est la même fatigue et la même usure, ce sont les mêmes usages du temps qui sont rendus présents dans les ruines et dans les montagnes et il s’ensuit que la mélancolie – qui est la réception humaine de cette unanimité du passage – perd toute base sentimentale pour devenir objective et se confondre à l’essence même de ce qui est montré et qui est si violemment terrestre».




Interview (traduite de l’espagnol) publiée dans «More than blog»

http://morethanblog.wordpress.com/2010/11/02/faustine-ferhmin-pachacuti/