Au départ, il y avait des images en couleur, un peu austères, indéniablement minérales, frontales et rigoureuses, en deux formats dont l’encadrement sobre, en bois, avait été soigneusement choisi. Aucun bavardage et, à l’évidence, des décisions. Aussi irréductibles que celle de se rendre au Pérou pour y figer, y approcher en trouvant la distance juste et sans manière la matière, la pierre, dans ce qu’elle a de plus élémentaire et au moment où géologie et construction humaine se rencontrent, jusqu’à se fondre l’une à l’autre. La matière de la pierre comme au premier jour et une manière d’intouché approchée par pure nécessité de s’y confronter mais en contenant tout lyrisme. Ce qui n’exclut pas que l’émotion soit présente, même si la précision la contient au risque, parfois, de l’évacuer.

À l’arrivée, deux semaines plus tard, toujours deux formats, toujours des choix précis, toujours une volonté de rigueur et d’absence de bavardage. Mais le sentiment, spectaculaire à sa manière qui ne l’est pas, que quelque chose a basculé, s’est peut-être libéré. Que Faustine, parce qu’il y avait ce temps de liberté sans autre contrepartie que la possibilité d’essayer, s’est laissée aller à quelque chose d’elle-même qu’elle ne laissait point transparaître.

Il y a, toujours, la tentation de la frontalité, mais elle se déplace jusqu’au surplomb. Il y a toujours la volonté de se confronter à l’élémentaire, mais cette fois-ci, ce fut l’eau, environnement oblige. L’eau qui ne saurait être que changeante alors que la photographie va chercher à la capter en miroir (en presque miroir) ou en fond noir (tentative de nuit). Il y a toujours ce refus du bavardage qui fait que, au final, peu d’images sont proposées puis sélectionnées même si d’amusants moments de pose, utilisant d’autres participants complices de la résidence, sont venus égayer la procédure de prise de vue.

Car, alors que les paysages péruviens étaient désertés de toute présence humaine, ceux des zones aquatiques du Marais poitevin laissent place à des personnages. Nouveauté qui, cependant, évite l’anecdote ou en construit d’énigmatiques. Par la pose d’un jeune homme devenu apparition sur la berge ou par l’étrange position du corps d’un nageur dont on ne sait s’il s’enfonce, surgit de l’eau, s’il souffre, s’il est vraiment vivant. Des questions à l’eau bien plus que des réponses, en fait. Presque impossible à discerner au fond d’un paysage, le corps d’un homme, de dos, s’accroche à la berge, à moins qu’il ne soit sur le point de la lâcher parce qu’il a perdu pied. Cela n’a finalement aucune importance puisque nous reste d’abord l’image du plan d’eau enserré de feuillages qui, eux, filtrent la lumière, vibrent d’ombres, réussissent à éviter à la fois le « feuillagisme » démonstratif ou contemplatif et, même s’ils le frôlent parfois, le lyrisme que l’élément a si souvent nourri.

Le changement le plus frappant, naturellement, est celui du passage – choix – au noir et blanc. Qui est une couleur lorsque les gris de l’étendue sur laquelle semble presque flotter le corps se modulent sans cesse et qu’ils peuvent recueillir des noirs profonds et une pointe de blanc pur, rare. Le hasard n’avait aucune place lorsque le minéral était en jeu et qu’il était confronté à une temporalité qui semblait subir moins d’érosion (quel temps entre celui de la couche géologique, celui de l’assemblage de la pierre par l’homme et aujourd’hui dans les images?) que le paysage cadré. Il en retrouve une, bien qu’il soit contrôlé par le choix, dès lors que l’eau s’écoule, que le soleil filtre au travers des feuilles, que le personnage est susceptible d’expressions, par son corps comme par son visage.

Faustine nous demande toujours de prendre notre temps, de nous installer devant ses images et de les regarder vraiment. De les détailler, de faire comme elle. Elle se méfie certainement toujours autant des facilités du lyrisme, des risques romantiques qui tentent tous ceux qui approchent la nature au plus près de ses composants et elle garde ses distances, justes, juste ce qu’il faut. Mais peut-être avec moins de crainte, avec cette autre sensualité, plus évidente sans doute, qui ressemble davantage à la façon dont l’eau coule sur la peau qu’à la rudesse des grains de granit sur l’épiderme.

Christian Caujolle